jeudi 10 mai 2007
«Une provocation de TF1»
Daniel Schneidermann, chroniqueur Médias, répond aux questions des internautes
TF1 a-t-il donné un coup de pouce à Sarkozy en diffusant le "Droit de savoir" consacré à la "France qui triche", a quelques jours du second tour?
Daniel Schneidermann: J'ai trouvé en effet que cette émission de Charles Villeneuve, consacrée à la "France qui triche" était scandaleuse. Non pas le sujet en lui-même, bien entendu, car après tout on a parfaitement le droit d'enquêter sur ce problème. Mais sa programmation à quelques jours du second tour, alors que ce thème épouse parfaitement l'un des thèmes de prédilection de Sarkozy, était une véritable provocation.
Evidemment, on ne peut que rapprocher cette provocation, de la présence de Charles Villeneuve, dimanche dernier, au meeting sarkozyste de Bercy. Tout ceci encore aggravé du fait que ce sujet n'avait aucune actualité particulière. Le témoin vedette du "Droit de savoir" était l'auteur d'un livre qui était déjà passé sur toutes les chaînes de télévision, à l'automne dernier. Et on retrouvait dans ce "Droit de savoir" quatre intervenants communs avec un magazine de France 3, "Pièces à conviction", lui même diffusé à l'automne dernier. Evidemment, on peut penser que le CSA ne dira rien, puisque la lettre de la loi n'est pas violée par cette provocation de TF1. Enfin, cette émission est d'autant plus dommageable à l'image de la chaîne que cette chaîne jusqu'à présent avait eu un traitement relativement équilibré des candidats à la présidentielle. Mais je pense qu'ils vont traîner encore longtemps cette casserole-là.
Anthropia: croyez-vous vraiment que les téléspectateurs se laissent prendre à cette manipulation des médias?
Hélas, oui. Une des leçons provisoires que je tire de cette campagne présidentielle, c'est qu'il ne faut pas enterrer trop vite l'influence des médias de masse. Elle est encore considérable.
Gracchus: les images du meeting du candidat UMP auraient été fournies par l'équipe de Sarkozy. Si c'est vrai, les journaux n'auraient-ils pas du le signaler ?
La polémique sur ce sujet s'était déroulée au début de la campagne. Les rédactions en chef des chaînes de télévision s'étaient alors défendues en expliquant que l'origine de ces images, en effet filmées par le service de communication de l'UMP, étaient toujours signalée aux télespectateurs. Vous avez raison de dire que la vigilance sur ce point semble s'être relâchée.
Le sphynx: si TF1 semble à ce point soutenir Sarkozy, est-ce parce qu'ils redoutent que Royal (aidée de Bayrou) mettent au point une loi sur les médias visant à exclure toute entreprise bénéficiant de contrats avec l'Etat ? (ce qui obligerait Bouygues à se séparer de TF1 et Lagardère d'Europe1...)
On ne peut rien vous cacher! Votre clairvoyance est réconfortante.
Anthropia: je pensais que toute participation d'un journaliste de TV à un débat pro candidat était automatiquement décomptée du temps de parole de son candidat favori ?
En effet, si le CSA faisait une application sourcilleuse de la loi, il pourrait rapprocher la présence de Charles Villeneuve à Bercy, du propos du "Droit de savoir". Mais l'exégèse juridique n'est pas une science exacte. Un autre exemple en a été fourni la semaine dernière. Apparemment dans l'affaire du débat Royal-Bayrou, des assurances ont été données par le CSA à la chaîne BFM, qui n'avaient pas été données la veille à la chaîne Canal Plus. Cette manoeuvre byzantine a eu pour effet de reléguer ce débat sur une chaîne confidentielle.
Anthropia: dans le cas du Traité constitutionnel européen, l'influence des médias de masse avait été remise en cause. Pourquoi pas dans ce cas ?
Bonne question. Je n'ai pas la réponse. Je me contente d'observer que les influences des différents médias semblent s'être exercées différemment dans les deux cas. Mais cela nécessite un examen plus poussé.
Anthropia: dans le cas de Canal Plus, n'y a-t-il pas eu un deuxième obstacle, lié à la diffusion en clair à une heure matinale ?
Il faudrait leur demander. Mais je pense que s'ils se sont proposés, c'est que cet obstacle ne leur semblait pas insurmontable.
Gracchus: la relation de Sarkozy avec les médias peut-elle se comparer avec celle qu'entretenait Berlusconni avec son empire médiatique ?
Il y a beaucoup de point commun en effet. Le principal étant la séduction, à la fois personnelle et politique, exercée sur la plupart des grands médias audiovisuels. La principale différence c'est que Sarkozy n'est pas directement propriétaire de médias. Et qu'il n'est pas chauve.
Anthropia: Le recul de Canal Plus serait donc lié à une réponse comminatoire du CSA, qui ensuite s'est dédit devant le tollé général ?
C'est un peu de cette manière que j'ai vu le film en effet.
BB: la désaffection de la presse, une simple conséquence du manque de crédibilité, d'impartialité et d'investigations sérieuses?
Je pense que c'est aussi un des enseignements que l'on peut tirer de cette campagne électorale.
Source:
http://www.liberation.fr/interactif/chats/schneidermann/251241.FR.php
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