Une enquête est nécessaire pour faire la lumière sur l'éventuelle existence d'un compte bancaire secret de Jacques Chirac au Japon, estime l'ancienne magistrate anti-corruption Eva Joly.
"Il me semble vital qu'une enquête soit faite sur les rumeurs très persistantes et maintenant aussi les documents qui existent sur l'existence d'un compte au Japon qui lui appartiendrait", déclare-t-elle sur le site internet Rue89.
"Une démocratie digne de ce nom ne peut pas vivre avec cette incertitude", ajoute cette magistrate, conseillère du gouvernement de Norvège, son pays d'origine, qui a instruit de nombreux dossiers de corruption, dont le scandale Elf.
Les soupçons concernant l'existence d'un compte bancaire détenu par l'ancien président de la République française au Japon sont apparus de manière incidente dans l'enquête sur les listings falsifiés de la société Clearstream.
Des documents confidentiels des services secrets français, la DGSE, saisis chez le spécialiste du renseignement Philippe Rondot et versés progressivement au dossier jusqu'à ces dernières semaines, font état de l'existence de ce compte à la Tokyo Sowa Bank. Il serait, à en croire ces pièces, crédité de 300 millions de francs, soit 45 millions d'euros.
L'information figure pour la première fois dans un document envoyé en 1996 par un agent de la DGSE à Tokyo, qui avait été chargé d'une enquête de routine sur Soichi Osada, patron de la Sowa Bank et ami de Jacques Chirac.
Dans ce document, l'agent secret rapportait que cette information sur le compte Chirac lui avait été fournie par une source identifiée sous le seul nom de code de "Jambage".
La général Philippe Rondot, qui a enquêté à la demande de l'ancien locataire de l'Elysée sur ces documents de la DGSE, écrit en novembre 2001 dans une note versée au dossier Clearstream et publiée cette semaine par Marianne : "Les affaires se précisent, selon l'enquêteur au Japon, le compte de JC existe bien. Il est alimenté. TG (télégramme) à venir".
(...)
Eva Joly se prononce pour que Jacques Chirac réponde des autres affaires concernant des détournements de fonds à la Ville de Paris qui lui sont imputés.
"Les traces se sont arrêtées toutes fraîches devant la porte de son cabinet. La normalité est qu'il soit convoqué par mes collègues et qu'il réponde de ces suspicions", dit-elle.
Elle juge indigne de tenter d'échapper à ces procédures. "Je pense qu'il serait d'une incroyable arrogance que de bricoler et de jouer avec la prescription. ce serait une forme d'immunité. La seule solution digne d'une grande démocratie c'est que les enquêtes soient faites", déclare-t-elle.
Selon le Canard enchaîné, Jacques Chirac, qui perdra définitivement son immunité présidentielle le 16 juin, a recruté une équipe d'avocats conduite par Me Jean Veil. Il envisagerait de retarder les demandes d'audition en invoquant des motifs de santé, en attendant une éventuelle loi qui effacerait les "affaires", dit l'hebdomadaire satirique.
_____________________________________
Eva Joly à Rue89: «Chirac doit répondre de ses actes»
Par Pierre Haski (Rue89) 15H40 25/05/2007L'ancienne juge d'instruction publie un livre de souvenirs en forme de réquisitoire contre les élites françaises.
Le titre de son livre, "La Force qui nous manque", s'adresse plus à nous qu'à elle. Eva Joly, l'ancienne juge d'instruction du pôle financier du Palais de Justice de Paris, célèbre pour son rôle dans l'affaire Elf, ne décolère pas contre les élites françaises, contre leur complaisance vis-à-vis de la corruption, contre leurs petits arrangements avec la justice, contre l'indulgence coupable de l'opinion publique...
De passage à Paris quelques jours après le départ de Jacques Chirac de l'Elysée, et donc de sa perte d'immunité présidentielle, elle affirme haut et fort, dans une interview à Rue89, que la justice doit reprendre ses droits dans les affaires dans lesquelles apparaît le nom de l'ancien chef de l'Etat. La France, estime-t-elle, se déconsidèrerait à enterrer les dossiers qui concernent le "retraité de l'Elysée", et l'opinion, que l'on sent peu mobilisée sur ce front, ne doit pas s'en désintéresser.
(Voir la vidéo)
http://rue89.com/2007/05/25/eva_joly_a_rue89_la_justice_doit_desormais_soccuper_de_jacques_chirac
De même, Eva Joly, dont les récentes activités dans la lutte anticorruption pour le compte du gouvernement norvégien lui ont fait entrevoir tant de secrets de famille franco-africains, ne cache pas sa colère de voir que l'un des premiers chef d'Etat étranger à rendre visite à Nicolas Sarkozy à Paris, n'est nul autre qu'Omar Bongo, le président gabonais, figure emblématique d'une liaison incestueuse entre la France et ses anciennes colonies. La rupture, décidément, n'est pas au rendez-vous, là où elle semblerait pourtant la plus nécessaire.
(Voir la vidéo)
http://rue89.com/2007/05/25/eva_joly_a_rue89_la_justice_doit_desormais_soccuper_de_jacques_chirac
Eva Joly revient donc sur le devant de la scène française, non pas officiellement, mais pour livrer "sa" vérité. Celle de son itinéraire personnel, la jeune fille au pair aux tresses blondes venue du pays des fjords, et qui finit par défier le pouvoir politico-affairiste français en menant les enquêtes judiciaires là où elles font le plus mal. Cela donne un livre, écrit en collaboration avec la journaliste Judith Perrignon, qui mêle souvenirs personnels, heureux ou douloureux, et retours sur les leçons d'une action judiciaire qui lui a coûté cher. La petite histoire dans la grande histoire.
On lira avec délectation sa galerie de portraits des hommes puissants qui ont défilé dans son cabinet de juge d'instruction: on y retrouve "le poète", François Léotard; "le comédien", Bernard Tapie, "l'ancien combattant ou plutôt son fils", Jean-François Pagès; "le fils qui fait mentir sa vieille mère", Loïk Le Floch-Prigent, Roland Dumas...
Le réquisitoire d'Eva Joly est dérangeant, non pas tant par les faits qu'elle dénonce, que par le "miroir", comme elle dit elle-même, qu'elle tend à la France. Ce qu'on y voit n'est pas reluisant.
Mais ce qu'elle dit est d'une actualité brûlante, au moment où le pouvoir politique change, sans que les moeurs n'évoluent. Eva Joly ne pouvait pas espérer mieux, pour illustrer son propos, que de débarquer à Paris au moment où un conseiller du nouveau président passe chez TF1...
(Voir la vidéo)
http://rue89.com/2007/05/25/eva_joly_a_rue89_la_justice_doit_desormais_soccuper_de_jacques_chirac
► "La Force qui nous manque" d'Eva Joly (avec Judith Perrignon), éd. Les Arènes, 190 p., 19,80 €.